La Bretagne est une région leader dans les productions animales. Plus de la moitié des porcs du pays, un tiers de la production avicole nationale, et le quart du lait de vache français y sont produits. Cette forte concentration de l’élevage en Bretagne a permis le développement d’une industrie agroalimentaire représentant 9% des emplois régionaux, leader mondial pour l’industrie laitière. Cependant, cette concentration des élevages sur un territoire limité est aussi à l’origine de problématiques environnementales importantes, comme les émissions de gaz à effet de serre et la dégradation de différents indicateurs environnementaux.
L’élevage, le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en Bretagne
Au total, les émissions de GES pour le secteur agricole en Bretagne représentent près de 14,3 MteqCO2 par an en 20161 . Près de 70% de ces émissions sont des émissions directes émises sur le territoire, le reste correspondant aux émissions provenant des intrants utilisés par les fermes bretonnes. La fermentation entérique des ruminants constitue la principale source d’émissions de GES pour la région, sous forme de méthane (30% des émissions). Puis vient l’importation des aliments pour le bétail, représentant 25% des émissions. La densité bretonne en animaux, trois fois supérieure à la densité nationale, induit en effet des besoins importants en nourriture2. Ainsi, il faut deux fois la surface agricole utile bretonne pour nourrir ce cheptel, obligeant à s’approvisionner dans les autres régions du monde pour couvrir les besoins en protéines végétales, notamment sous forme de tourteau de soja du Brésil. Une autre part importante des émissions de GES (20%) est liée au cycle de l’azote. Ainsi, le protoxyde d’azote N2O, puissant GES lié à l’apport d’azote au niveau des sols sous forme d’engrais minéraux et organiques, est l’un des deux principaux GES émis par l’agriculture. Le stockage des effluents est aussi à l’origine de 11% des émissions, essentiellement sous forme de méthane pour le lisier et de méthane ou protoxyde d’azote suivant la méthode de stockage pour le fumier. La consommation directe d’énergie (carburant, électricité) représente enfin seulement 7% des émissions. Les émissions de GES par le secteur agricole en Bretagne sont donc liées essentiellement à l’élevage prédominant.
Photo 1 : Reportage photo dans un élevage bovin à Poullaouen, © L’œil de Paco
Comment sont évaluées les émissions de GES sur les élevages ?
Les différentes filières agricoles ont mis en place des outils afin de leur permettre d’améliorer le bilan carbone au niveau des élevages. Plusieurs logiciels ont ainsi été développés comme GEEP ® développé par l’IFIP pour la production porcine, ou CAP’2ER © développé par l’institut de l’élevage pour la production bovine. Le bilan intègre les émissions de GES et le stockage du carbone.
Plusieurs leviers peuvent être actionnés pour améliorer le bilan global en fonction des objectifs et des attentes des éleveurs. Pour les ruminants, la réduction des intrants importés comme le tourteau de soja, une optimisation du renouvellement du troupeau et des techniques d’enfouissement des effluents d’élevage, une réduction de la part de l’azote minéral apportée aux cultures, une augmentation du stockage carbone dans les sols et la biomasse avec la mise en place de prairies permanentes et de haies sont prises en compte. La production d’énergie à partir de vecteurs énergétiques décarbonés (panneaux photovoltaïques, petits méthaniseurs) permet aussi une meilleure autonomie des exploitations. Pour les élevages de monogastriques (porcs et volailles), la principale marge de manœuvre concerne l’alimentation, qui est souvent importée, la gestion des effluents ainsi que l’amélioration des performances techniques.
Photo 2 : Génisses d’un élevage laitier bio sur une prairie permanente avec une gestion du pâturage au fil à Saint Urbain, dans le Finistère. Les haies entourant les pâtures améliorent le bien-être des animaux en les protégeant du vent et des fortes chaleurs. Les arbres constituent aussi d’importants puits de carbone complémentaires aux sols des prairies permanentes, © Sabine Roussel.
Quels scénarios pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ?
Pour atteindre la neutralité carbone, des efforts conséquents pour tous les secteurs sont à prévoir. Au niveau français, la stratégie nationale bas-carbone recommande une baisse de 50% des émissions de GES du secteur agricole à l’horizon 2050. Pour y arriver, deux scénarios prospectifs représentant deux visions différentes ont été approfondis récemment pour la Bretagne3. Le premier scénario s’appuie sur une diversification des agricultures bretonnes avec adéquation entre les capacités biophysiques du territoire et de la production, privilégiant les produits sous signes officiels de qualité (Agriculture Biologique, Label Rouge, etc…) avec des systèmes à bas niveau d’intrants. Le deuxième scénario vise à optimiser les systèmes par le progrès zootechnique et l’intensification des modes de production.
La modélisation montre que l’optimisation des leviers énergétiques et agronomiques seuls ne permettent qu’une baisse des émissions de 15 à 20% maximum. Pour atteindre les objectifs de réduction de 50%, une modification structurelle des systèmes de production est obligatoire avec une baisse des productions animales et de certaines productions végétales. Ces deux scénarios permettent néanmoins un meilleur maintien de l’élevage par rapport aux tendances de réduction du cheptel observées actuellement. A contrario du scénario sur l’intensification des modes de production, il est important de noter que seul le scénario privilégiant la désintensification et la diversification permet d’améliorer les autres critères environnementaux comme la qualité de l’eau, de l’air ou encore la biodiversité, rejoignant les modélisations réalisées au niveau européen et mondial sur ces enjeux4. Le scénario basé sur la désintensification ne permet toutefois pas de nourrir autant de personnes en protéines animales, impliquant donc un régime plus sobre, mais correspondant mieux aux besoins moyens quotidiens réels. En effet, notre régime trop riche en énergie, en gras et en protéines est à l’origine de nombreuses maladies comme le diabète de type 2, en plein développement5.
Quels leviers pour agir ?
Pour pouvoir adopter de nouvelles pratiques agricoles bas carbone, mais aussi résilientes face aux changements globaux, de nombreux choix stratégiques devront être mis en place pour accompagner financièrement les filières animales6. Les éleveurs sont touchés par une précarité économique importante : dans la filière viande bovine et lait, un sur quatre vit sous le seuil de pauvreté7. Dans ces conditions, les capacités de transformation et de prise de décision sont limitées. Les transformations ne pourront se faire qu’avec des dispositifs de soutien et une revalorisation du revenu des éleveurs pour qu’ils puissent transformer leurs pratiques agricoles. En parallèle, un renforcement de la recherche et de l’innovation en appui à la transition ainsi que la mise en place d’offres de formation pour des éleveurs et conseillers en élevage seront à effectuer. L’approche doit aussi être basée sur une implication de l’ensemble des acteurs d’une filière, allant de la production animale jusqu’à la distribution et restauration, au risque sinon d’une importation de produits animaux pour répondre à la demande domestique.
Actuellement, la Politique Agricole Commune (PAC) au niveau européen et le Plan Stratégique National (PSN) de la France ne permettent pas d’anticiper les changements à venir pour une transition bas carbone et un élevage adapté aux perturbations induites. Les mesures prises au niveau politique doivent être plus ambitieuses pour espérer atteindre l’objectif d’une réduction de 50% des émissions de GES à l’échelle de la France8. Les changements à opérer étant structurels et avec de fortes conséquences au niveau social, il est urgent de réfléchir dès maintenant à l’élevage que nous souhaitons avoir afin de donner des perspectives claires au monde de l’élevage en Bretagne.
Titre : L’élevage au cœur des enjeux de réduction des émissions
Auteur : Haut Conseil Breton pour le Climat
Année de publication : 2025
Type : Rapport
Citation : HAUT CONSEIL BRETON POUR LE CLIMAT, 2025, « L’élevage au cœur des enjeux de réduction des émissions », Bulletin annuel 2025, p. 24-26
- Ceresco & Solagro, 2023 https://www.ambition-climat-energie.bzh/wp-content/uploads/2024/07/Etude-GES-agricoles-rapport-final-vf.pdf ↩︎
- Agreste, https://draaf.bretagne.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/memento_a5_2022_complet.pdf ↩︎
- Ceresco & Solagro 2023, op. cit. ↩︎
- Poux et Aubert, IDDRI, 2018 https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Etude/201809-ST0918-tyfa_1.pdf ↩︎
- Réseau CIVAM, 2024 https://www.civam.org/wp-content/uploads/2024/09/RAP-CoutCache2024_VF.pdf ↩︎
- HCC, 2024, op. cit. ↩︎
- Bordet, Logeais, Ulrich, INSEE, 2021, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5434584 ↩︎
- The Shift Project, 2024 : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2024/11/RF-Agri-Rapport-Complet-DEF.pdf ↩︎