La pluralité sociale de l’agriculture bretonne

Les principales données disponibles sur les agriculteurs et agricultrices sont issues du recensement agricole de 2020, portant sur les 55 400 actifs agricoles dénombrés dans la région ^{1 2}. Elles montrent la prépondérance de la production laitière (44% des agriculteurs) et d’autres formes d’élevage, et une distribution des 26 347 exploitations entre grandes exploitations (9847), moyennes (7080) et petites ou micros (9300). Le recensement privilégie cependant une approche centrée sur l’exploitation, qui dit peu sur la réalité sociologique des hommes et femmes concernées. Si des travaux de recherche ont pu éclairer certains aspects de cette réalité³, il manque une analyse spécifique de leurs situations en tant que groupe social au niveau régional, mais aussi de leurs perceptions et rapports au changement climatique.

Si la Bretagne est l’une des régions les moins inégalitaires, en comparaison avec le Centre et l’Est notamment, les écarts demeurent importants entre les 10% des agriculteurs les plus modestes (revenu moyen de 800 €/mois) et les 10% les plus aisés (3065 €/mois). Signe de plus grande fragilité économique et de précarité, 18% des agriculteurs bretons vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 10% de la population active globale en Bretagne. A l’autre bout de l’échelle sociale, les revenus des 10% des agriculteurs les plus aisés sont supérieurs à ceux du même décile dans la population générale. Une autre dimension de l’hétérogénéité de la profession est la part croissante du salariat non familial dans les exploitations bretonnes. Ce type d’emploi salarié augmente régulièrement (+10% entre 2010 et 2020) pour atteindre un quart des actifs agricoles et renvoie à l’érosion du modèle de la ferme principalement familiale (-41% sur la période).

Comme ailleurs en France, un trait caractéristique de la profession sur le plan démographique est à la fois la baisse marquée de ses effectifs (-19% depuis 2010, – 50% depuis 2000) et un vieillissement d’ensemble, avec près de la moitié des exploitations aujourd’hui dirigées par des plus de 55 ans, chiffre qui croît régulièrement depuis le dernier recensement⁴. Ce vieillissement (Figure 1) touche différemment les spécialisations : les éleveurs et les céréaliers sont les plus concernés (de 45 à 56% de seniors), alors que les exploitants en maraîchage et horticulture sont plus jeunes, avec 34% de seniors et un quart de moins de 40 ans. L’enjeu du départ à la retraite et de la transmission des exploitations, principalement en élevage, est donc central. Il peut aussi constituer un levier pour faire évoluer l’agriculture vers de nouvelles pratiques via le renouvellement des générations. Cependant, avec seulement une nouvelle ferme installée sur cinq en agriculture biologique depuis 2010, ce modèle reste minoritaire (16% des exploitations en Bretagne) avec une croissance annuelle limitée (entre + 3 et 6% par an) qui ne remet pas en cause la prédominance d’un modèle agricole à base intensive.

Figure 1 : En Bretagne, le nombre d’exploitants de 60 ans et plus a augmenté de 29% entre 2010 et 2020, celui des moins de 40 ans a baissé de 24%. Champ : hors structures gérant des pacages collectifs. Source : Agreste – Recensements agricoles

Le constat fait pour les régions françaises⁵ s’applique donc aussi aux agriculteurs de Bretagne : groupe défini par son activité professionnelle, ils et elles sont fortement différenciés socialement, que ce soit par la nature de leur activité de production, leurs niveaux de revenus, la taille des exploitations, ou encore la pyramide des âges. Face au changement climatique, le Haut Conseil pour le Climat a analysé les freins à la transformation de l’agriculture⁶. Plusieurs de ces freins (manque de connaissances, endettement, faible revenu de certains agriculteurs, conditions de travail difficiles, aversion aux risques…) ne pourront être levés que par une action publique qui prenne en compte les situations économiques et sociales diverses des agriculteurs et des agricultrices en Bretagne.

1. Agreste, 2022. op. cit. ↩︎
2. Agreste, 2023. https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/MemSta2023/M%C3%A9mentoFrance2023.pdf ↩︎
3. Comer C., 2017. https://theses.fr/2017REN1G038 ↩︎
4. https://draaf.bretagne.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/02_etudes_age_devenir_exploitations__ra2020.pdf ↩︎
5. Hervieu, B. et F. Purseigle (2013). « Les agriculteurs dans la société française : des mondes éclatés », Sociologie des mondes agricoles. Paris, Armand Colin : 137-188. ↩︎
6. HCC 2024, op.cit. ↩︎